Déjeuner du matin - de Jacques Prévert

Voici un nouveau poème d'amour qui parle d'homosexualité tout en délicatesse de la part d'un Jacques Prévert (1900-1977) qui n'y est décidément pas insensible puisqu'il avait également écrit Sous le soc.
Synopsis : Rupture entre deux hommes qui visiblement ont passé la nuit ensemble ne serait-ce qu'à la lecture du titre donné à ce poème "Déjeuner du matin". Mais voilà, c'est probablement le dernier, ils se sont tout dit. L'utilisation successive de la troisième personne du singulier suggère que tout est à la seule initiative de l'autre tel que décrit par un amant blême, résigné, qui séquence méthodiquement chaque geste comme si cet instant là le hantait. Jacques Prévert observe avec douleur, prend sur lui puis, lorsque son ami est parti il rajoute laconiquement : "j’ai pris Ma tête dans ma main Et j’ai pleuré" comme si cela supposait qu'il n'y avait rien d'autre à faire.

Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuillère
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s’est levé
Il a mis
Son chapeau sur sa tête
Il a mis son manteau de pluie
Parce qu’il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j’ai pris
Ma tête dans ma main
Et j’ai pleuré