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POÉSIES HOMOSEXUELLES : Gay, Lesbienne, Trans, Bi

‒ 👍Daniel Guérin (1904-1988)

Daniel GuérinDaniel Guérin, né le 19 mai 1904 dans le 17e arrondissement de Paris et mort le 14 avril 1988 à l'hôpital de Suresnes (Hauts-de-Seine) à 83 ans, est un écrivain révolutionnaire français, anticolonialiste, militant de l'émancipation homosexuelle notamment dans le mouvement ouvrier, théoricien du communisme libertaire, historien et critique d'art. Ses combats couvrent un vaste champs politique allant jusqu'à la défense des noirs aux USA.

Au milieu des années 1930, Daniel Guérin rejoignit la Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert avant qu'elle ne soit exclue de la SFIO il crée le Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) dont-il devient un des responsables. Il se situa à la gauche de ce groupe et entretint une correspondance avec Trotsky, assassiné le 21 août 1940 à Mexico.
En 1933, Daniel Guérin traverse à bicyclette l'Allemagne hitlérienne en le mettant en situation de voir la montée du nazisme qu'il développa dans un document d'abord publié dans Le Populaire attaché la SFIO puis édité en volumes sous les titres La Peste brune et Fascisme et grand capital en 1936.

Arrêté par les Allemands le 9 avril 1940, il sera libéré huit mois plus tard avec l'ensemble des internés civils.

Bisexualité

Lorsqu'un.e homosexuel.le contracte subitement une juste noce normativement hétéro aux antipodes de toutes ses expériences passées et connues ont peut légitimement s'interroger sur les motivations corrélatives de celles-ci. S'y est-il ou elle résolu.e poussé.e par les conventions, ce qui abouti à une invisibilisation du champs social du gay comme seule solution tenable (et pour le coup contre-nature adopté pour gagner en indépendance financière), ou est-ce le fruit d'une rencontre qui ne pouvait pas avoir d'autres résolutions que le mariage ? Quelles que soient les motivations, nous n'avons pas à faire de jugements de valeur, il s'agit juste d'établir en toute objectivité si c'est le résultat d'un assujettissement social et donc d'une contrainte à laquelle on se résout de guerre lasse, ou si c'est un changement de pied illustrant d'un réel désir mutuel ?

Il est toujours agaçant d'entendre des hétéro minorer avec condescendance une relation endo-sexe (2) (circulaire (3) ou non) souvent présentée comme probable passade qui ne suffit pas à caractériser une identité lorsqu'ils ne parlaient pas carrément de déviance, ce qui n'incitait pas à ceux et celles qui l'étaient de la vivre au grand jour. Certains vont même jusqu'à remettre en cause la véracité historique de celle-ci lorsqu'il s'agit d'une personne publique allant jusqu'à nous reprocher notre travail d'archives alors que ce patriarcat est responsable de l'invisibilisation qui à précisément empêché ces personnes de s'épanouir au siècle où elles se trouvaient.

Alors que dans les faits, tout dépend de la chronicité de ces rapports, de la ponctualité des allusions, de leurs récurrences dans les fantasmes de la personne. Partant de là, il n'est pas question de remettre à mon tour la réalité et la profondeur de cette bisexualité (présente en chacun d'entre-nous) mais juste d'en estimer le périmètre exact.

Daniel Guérin n’est pas profondément et nativement bisexuel tant il valorise et multiplie les relations homosexuelles avec nombres de jeunes prolétaires si l'on en croit ce qu'il affirme dans le documentaire dont-il est l'objet en 1994, Daniel Guérin (1904 - 1988) - Combats dans le siècle (4) 5:22. « C'est au contact de la classe ouvrière que j'ai découvert les conditions d’existence, de vie, de mentalité de la classe ouvrière. C'est au lit avec eux que j'ai découvert la classe ouvrière ». Dans ce film dédié à son parcours politique où il parle de ses luttes, l'homosexualité aurait put y être que brièvement mentionnée alors qu'elle est omniprésente. Il exprime quinze ans de fellations, de sodomies, drague dans le métro, là un couvreur, ici la kyrielle de militants révolutionnaires dont-il assouvie les ardeurs. Bien que très impliqué dans ces milieux gauchistes, le fait homosexuel demeurait très disputé depuis les années 40 avec les lois de Pétain, au Parti Communiste comme dans le reste de la classe ouvrière où le quolibet était la règle 00:57:15. Pourtant, lorsque j'étais au Centre Gay & Lesbien de Paris dans les années 1995, le PC faisait déjà un très beau travail d'introspection sous l’impulsion de Marie-George Buffet (1949-), Secrétaire nationale du Parti communiste français qui était venue à notre rencontre avec beaucoup de simplicité.
Parmi les autres poètes homosexuels communistes on peut citer Jean Ristat (1943-) entre autres, directeur des Lettres françaises.

 

Il rencontre en Allemagne une journaliste, Christine Fournier Holden qui lui demande de donner un colis à sa fille, Marie Fortwangler, une ex militante des jeunesses communistes qui s'était réfugiée en France.

Lorsque la poétesse lesbienne Annemarie Schwarzenbach  (1908-1942) se marie avec un diplomate français lui-même ouvertement homosexuel (d'autant plus cocasse quand on sait qu'il était alors en poste à l'Ambassade de Téhéran), il ne s'agit-là que de récupérer les éléments positifs du mariage pour s'en servir. Le poète John Addington Symonds (1840-1893) s'est aussi marié un peu précipitamment à la suite d'une affaire qu'il s'agissait d'étouffer par une bonne nouvelle.

Là, clairement, au gré des échanges intellectuels qui suivent cette rencontre, de la convergence de leurs idées communistes et révolutionnaires et il le reconnaît lui-même 00:21:45 : "Mes relations avec Marie conservent longtemps un tour fraternel et platonique.", ils se rapprochent et donnent naissance en 1936 à une fille, Anne (1936-2017), Il est alors âgé de 30 ans... Ce mariage pourtant conserve une part sinon de conformation, en tout cas de réintégration momentanée au schéma paternel associé aux conforts des attendus traditionnels que suscitent un mariage, mais aussi peut-être motiver par le déficit d'amours masculines stables. Il ne faut pas oublier que le militantisme épuise son homme, il s'agit de monter en permanence au créneau, de signer des tribunes, de s'opposer, d'argumenter, d'écrire, et lorsque le foyer peut apporter quelques répits, l'homosexualité nous en prive car là encore il nous faut être prudent, nous cacher, préparer nos réponses. Donc on peut comprendre que la mariage à pu, un moment, présenter pour lui un îlot acceptable de paix dans un monde magmatique.

A la Libération, s'il a l'alliance au doigt il ne garde pas pour autant les yeux dans ses poches car, déplorant le traitement infligé aux femmes rasées pour avoir fauté avec l’ennemi il ajoute : "moi qui ne suis pas sûr d'avoir eut raison de résister à ces beaux plantons"... Ainsi il n'est plus là tout à son mariage puisqu'il reconnaît avoir résisté à la beauté de ces jeunes et vigoureux soldats qu'il avait sous les yeux sans préciser ce qu'il avait fait avec ceux qui étaient du bon côté...

Si le fils était visiblement sensible aux attributs masculins lorsqu'il s'agissait de les manier, son père, Marcel Guérin (1873-1948), riche collectionneur et critique d'art partageait cet esthétisme avec son fils même s'ils furent tout deux mariés. "Je savais que mon père avait eut un grand attachement pour un cuirassier pendant la guerre de 14/18."...c'est tout dire. Mais l'anecdote ne s'arrête pas là. Les parents de Daniel avaient aménagé à leurs fils une garçonnière dans l'immeuble qu'ils occupaient boulevard Saint-Michel afin de lui laisser plus de liberté. Un jour, alors que son père remarque que son fils ne reçoit jamais aucune visite féminine, ce dernier lui répondit "Je ne te l'avais jamais dit pour ne pas te faire de la peine mais j'ai une préférence marquée pour les garçons", ce à quoi le père lui répondit sans ambage, en larme, moi aussi... (1).

En 1948 sort le Rapport Kinsey auquel il répondra en 1955 par Kinsey et la sexualité, Paris, Julliard. Alors là nous sommes sur des publications hautement intellectuelles et assez peu homo-fréquencées mais A 01:56:38 de son documentaire (4) il rappelle qu'en 1956 il deviendra un des contributeurs régulier de la Revue Arcadie (1954 à 1982) créée par André Baudry (1922-2018) avec le soutien de Roger Peyrefitte (1907-2000) et de Jean Cocteau, (1889-1963), grand artiste et grand homosexuel dont les poème nous ravissent encore aujourd'hui.

En 1962 il écrit dans Eux et lui, un ouvrage illustré par André Masson, Monaco, Éditions du Rocher. Rééd. QuestionDeGenre/GKC, 2000 : "Le bronze flamboyant des Cinghalais et des Khmers, l'ébène musclé des Africains, la stature des Yankees et des blonds Scandinaves lui avaient fait oublier ses "pays". Il n'en avait pas moins gardé, dans ses périples à travers le monde, la nostalgie lancinante du titi parisien, de l'Armoricain aux yeux bleus, du robuste Alsacien, du nonchalant Occitanien. Les éternels conciliateurs l'incitaient à se complaire dans cette merveilleuse diversité. Mais il ne parvenait pas à choisir entre Bob, Olaf, ces pales civilisés, et Blackie, sodomisant, noir et nu, dans la jungle tropicale."

 Pour ma part, j'ai beaucoup aimé la facilité déconcertante et très moderne avec laquelle il parlait de ses aventures masculines et épicées à la fin de sa vie dans ce documentaire mais sa fille 01:00:26, qui y est également interviewée, dit que sa mère ne connaissait pas l'homosexualité de son époux et ne l'a découvert qu'en 1963, 30 ans après leur rencontre alors que les hommes défilaient à leur domicile. Donc là nous avons un intéressant focus du point de vue de l'épouse et des mécanismes d'inconscientisation du fait homosexuel au sein-même du couple, qu'il s'agisse des enfants ou de l'époux/épouse. Il annonça publiquement son homosexualité en 1968 suivant dès sa naissance le mouvement du F.H.A.R. en 1970 "Prolétaires de tous les pays, caressez-vous."

Gérald, dernière amitié homosexuelle de Daniel GuérinDaniel Guérin (1904-1988) perdit sa femme en 1979 ce qui l'affecta beaucoup, néanmoins, le militant homosexuel Jean Le Bitoux (1948-2010) facilite une rencontre entre Daniel et un garçon de Gap, Gérald, ci-contre. Ils auront plus de 60 ans de différence avec le vieil homme lui donnant 5 années de complicité homo-sensuelle mais qui mourra du sida. Allez, encore une pointe d'histoire LGBT, Le Bitoux, fondateur de la Revue Gai Pied (1979-1992) que la police française empêche le 24 avril 2005 de participer à la Journée nationale du souvenir de la déportation à Paris. Et oui, et cela je l'ai personnellement vécu, lorsque nous voulions assister à ces commémorations des anciens combattants au nom des homosexuels déportés, ou que nous souhaitions déposer une gerbe devant un monument aux mort, et bien cette composition était enlevée. Le triangle rose que nos frères d'époque eurent à porter ne suffisait pas à nous autoriser à nous mélanger à la douleur hétérosexuelle. Lorsque les choses commencèrent à s'améliorer, nous étions autorisés à nous rassembler en marge de la manifestation, semblables à des séropositifs de la mémoire. Il n'y avait plus de clairon, plus d'officiels, le public s'était dispersé, seuls y participaient ceux que l'on ne voulait pas voir.

Parmi les poètes homosexuels nés la même année que Daniel Guérin nous citerons Guy Lévis Mano (1904-1980) et Christopher Isherwood (1904-1986) et sa mort, 1988 correspondra avec celle de Robert Duncan (1919-1988) et la naissance du vietnamien  Ocean Vuong (1988) et d'Andrew McMillan (1988-/). Je suis désolé, je n'ai pas de lesbiennes correspondant à ces dates mais ça viendra peut-être.

 

La poésie de Daniel Guérin

Le livre de la dix-huitième année (poèmes), Paris, Albin Michel, 1922 de Daniel Guérin - pt

 Elle se limite à un seul ouvrage :

Le livre de la dix-huitième année (poèmes), Paris, Albin Michel, 1922 de Daniel Guérin (18e exemplaire sur 25) Le livre de la dix-huitième année (poèmes), Paris, Albin Michel, 1922

La lecture du Manifeste du parti communiste publié en 1848 par Marx et Engels lui fera renoncer à la poésie. J'avoue l'avoir également lu à mon adolescence et elle n'a pas eu pour effet de me faire renoncer à la mienne, peut-être même au dépits de certains et pourtant, j'avais même absorbé pour confondant algeroth Matérialisme et empiriocriticisme, Lénine, 1909. Vous savez ce que ça veut dire algeroth ? C'est un vomitif du Moyen Âge. Je l'avais employé en 2021 dans Odes, par le Vampire Hybrizein :

...Créature infernale ou ami d'Astaroth
amateur de cabale et d'onguents d'algeroth...

ce qui est de circonstance au vu de ce qu'est devenu l'Union soviétique avec Poutine pour créature du docteur Frankenstein. Les poupées Russes ne renferment pas que de bonnes choses...

Samedi 9 septembre 2023 j'ai donc acheté cet exemplaire princeps publié justement à ses dix-huit ans (année de publication faisant foi).

L'ouvrage se compose de 144 pages parcourues de 55 poèmes répartis sur trois chapitres. (J'ai fais onze kilomètres à pieds pour aller le chercher dans le 5e arrondissement et pour la petite histoire, l'archiviste que je suis l'a payé 180€ ; il y a une dédicace à un ami à l'intérieur. Je l'ai lu dès le lendemain afin de poursuivre cette émission que je lui dédiais.

 

Sa poésie est étonnement mature pour son âge, c'est assez perturbant de l'entendre parler de l'amour illusoire, de la mort, par contre, très peu de ses vers abordent la question de l'homosexualité, en tout cas de manière frontale, même si en lisant entre les lignes, on la devine.

Je vais décortiquer tout cela mais ça retourne mes petites tripes en formes de bites, parce que l'on sent encore et toujours le travail de sape des hétéro-connards qui exigent leurs part de mensonges, de conformations dégoulinantes à leurs dictats, de mépris profond pour ce que nous étions, et c'est humiliant de lire un poète se dédire à ce point en parlant des femmes alors qu'il ne pense qu'aux mecs, sans oublier qu'il expliquera avec une certaine modernité (bien qu'au soir de sa vie), combien il a pu en baiser. Seulement bien-sûr il savait que ses parents, conservateurs et anti dreyfusards, (c'est-à-dire qui s'opposèrent à la libération et/ou à la réhabilitation du capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935), que ses ami-es également allaient le lire, alors il donne le change avant d'inverser le principe de charge, en revendiquant plus radicalement ses choix.

Les traits et autres récurrences dans la poésie de Daniel Guérin

Je n'aime pas le mot "critique" parce qu'il sonne comme un reproche, je préfère le terme de déconstruction d'usage ou déconstruction pratique, qui de plus, me concernant, sera moins technique que subjectif.

Sa poésie est émouvante, d'ailleurs, elle sera republiée, n'en doutons pas, il faut juste laisser aux fossoyeurs de l'édition le temps nécessaire à la putréfaction des droits d'auteurs qui les contraignent _mais visiblement encore trop_ afin qu'ils et elles n'en ait plus à payer. Dans son écriture, on sent clairement la jeunesse, l'utilisation régulière, successive de certains mots comme "souples", ses pieds marchant "sur des roses", les lèvres se joignent sans plus d'imagination coupable, la lune aussi revient. Tous les écrivains font cela, tous ont des mots fétiches, des habitudes d'écriture plus ou moins maîtrisées mais là, le compte n'y est pas toujours, ça force, ça appuie. C'est comme un sexe encore trop petit pour faire illusion, il est joli, graphique, élégant, mais pas encore assez masculin, pas encore assez développé, le poil manque aux anges, aux numineux dont les œuvres deviennent leur commandement ultime, ils sont les icônes, nous leurs dévots.
Évidement, on ne sait jamais à quel auteur vivant on peut dire cela sans qu'il ou elle en prenne ombrage _vous savez, c'est ce que l'on appelle une bonne ou une mauvaise critique selon que l'on est celui qui se contente de lire l'heure d'un cadran solaire littéraire ou celui qui tient le style producteur d'ombre ou d'écriture_ alors qu'avec les morts, tout devient simple ; que nous les critiquions ou les aimions, eux nous ignorent comme des antiques devenus trop grand pour nous.

Exemple de redondances page 41 :

Il fallait pour l'enfant que l'irréel attire
    Votre âme impétueuse et vos bras affamés
    Mais votre âme essayait déjà de se traduire,
    Et vos bras se tordait déjà dans les baisers
.

  • Concernant la forme, il emploie presque un parlé du quotidien qui donne à ses vers un esprit de modernité, actuel, plaisant mais procurant tout de même régulièrement quelques difficultés de scansion.
  • La guerre est présente aussi, celle de 1914, avec son lot de souffrances, de filigranes à la cataracte aveugle qui pleurent dans le sable des pages qu'ils habitent. Au début du conflit il a dix ans et dans Enfance, page 61, il commence par décrire la futilité de ses jeux de petit garçon puis ils les installe dans la troublante réalité des hommes qui meurent comme à la page 63 :

 

_ Pendant que je rêvais dans ma chambre azurée,
Écoutant le rire des oiseaux,
Des hommes accroupis au fond de leurs tranchées
Se massacraient sans dire un mot.

On me disait parfois ; ils sont là-bas ; ils meurent...
Je souriais, sans écouter,
Et quand j’apercevais des yeux rouges qui pleurent,
Je me détournais sans pleurer

 

Vous feriez une erreur de ne voir là qu'un poème, non, c'est d'abord une blessure, la couleur d'une épouvante lorsque l'on a 20 ans et que nos tripes sont dehors, sans camarade, à cette minute alentit et cruelle lors de laquelle même nos parents ne pensent pas à nous alors que c'est maintenant que nous en aurions eu le plus besoin. Ce que bien de ces garçons ne savaient pas, c'est que les obus suivants allaient participer à les enterrer dans une plaine où ils sont toujours. Et nous, nous sommes là, lacérant avec nos dates historiques qui sonnent comme un numéro d'archives alors que ce sont des ossuaires gavés de gens éteints.

  • Il parle aussi bouleversement de l'enfance et ce avec nostalgie alors qu'il s'y trouve toujours, il évoque les cerceaux, les toupies...
  • La présence de son frère cadet a quelque chose de bienveillant, ils co-écrivent un poème, Épisode p. 65 (Fait avec mon frère Guillaume), et il l'implique dans un autre superbe texte intitulé Frère, te souviens-tu... p. 48. Là aussi c'est vertigineux puisque ce frère a disparu, même sur sa page Wikipédia il n'est pas mentionné.
  • Ce que l'on ressent également c'est sa sensibilité précoce vis-à-vis des pauvres, des ouvriers, le texte est beau, incisif. Le décalage de la vie de sa famille bourgeoise inéluctablement déconnectée ne sera sans doute pas sans cause avec son parcours militant, politique.
  • Enfin, je ne saurais faire l'impasse sur ses poèmes les plus anciens comme celui de la page 56 Pendant qu'ils se tuaient... dédié à son père, et qu'il termine en précisant "Écrit à quatorze ans - Biarritz". A la page 12 [sans titre] il gagne une année "Écrit à quinze ans", comme p. 27 avec ce poème qui s'intitule Quinze ans.
    En lisant cela, j'ai l'impression d'être un pied d'épine qui regarde sa rose étonné qu'il eut pu devenir cet astre de sang. C'est terriblement émouvant, perturbant même parce que ses mots d'enfants y sont figés à jamais, là, telle une ammonite dans la pierre de son passé que révèle le fossile de sa poésie. Ensuite viendra, en dernière gerbe, cette émission surannée dans laquelle nous le voyons déjà vieux jusqu'à aujourd'hui, où nous le savons mort. Cette compression du temps gomme les équivoques et fige ce qui reste désormais de lui. Tous sommes des particules dont les heures et les jours se déposent au fond des océans mais il est toujours si cruel d'y songer...

 

La place des femmes dans la poésie de Daniel Guérin

Au regard de son âge il est normal qu'il n'ai des femmes qu'une image floutée comme un film porno japonais, rien ne filtre avec allant de cette adolescence priapique qui aurait du, si elle avait été sincère s'émouvoir bien plus qu'une lèvre ici, un sein là. Son manque de diversité, d'alacrité poétique, d'inspirations manifestes, de transports gourmands, trahit le peu d'intérêts qu'il avait pour elles. Clairement les femmes dont-il parle n'existent pas vraiment, ce sont des rêves, des putains, des fantasmes pour la cour familiale. Elles sont toujours évanescentes, lui échappent, et l'on sent bien que leur présence est plus faite pour la propreté d'un recueil que pour la moiteur de son lit bousculée de fèves et d’airain, ça manque d'ardeur, d'imagination. En un mot, c'est de l'académisme postural, plus que le cœur d'une passion tout entière dévolue à des amours sans chevets (en pleine nature, c'est-à-dire libre et libérée de toute convention).
Ensuite il y a ce passage destiné à une femme mais qui parle d'un homme de manière bien plus dense et réaliste qui communique bien-sûr davantage avec l'homosexuel que je suis en bas de la page 25 :

Peut-être en ce moment gémis-tu d'épouvante (horrifiée par le réalisme de la queue d'un homme ?)
    Sous le poids étouffant d'un mâle sensuel ;
    Peut-être voudrais-tu, ô ma mystique amante, (mystique amante = femme inexistante)
    Un ami moins sauvage et qui soit fraternel... (ici tout évoque le gay comme le butin idéal d'un amour féminin qui se passerait bien des équivoques de l'amour vu comme une double épargne ?)

A une femme p. 41
N'oublions pas la mère aussi avec de très beaux vers sur la natalité comme A une jeune mère p. 42.

 

Concernant la place des hommes dans la poésie de Daniel Guérin

Le premier à qui de droit dans sa poésie c'est naturellement lui-même. Il se glisse dans ce petit théâtre de papier dont l'éditeur se compose de deux prénoms masculins Albin et Michel. Il y a le comédien (qui joue), et il y a le masque (qui cache). Il y a celui qui aime par transport, le destinateur s'adressant à ses muses, en tout cas pour le lecteur peu attentif et celui qu'il convoque lorsque l'adolescence dresse son duc-d’Albe qui se veloute des varechs de circonstance à mesure que l'homme se constitue. La femme est Homme par l'espèce mais l'être nocturne qui se dessinait tout aussi inexistant que son parèdre féminin s’avérait sûrement plus entêtant au regard de ce que sa main ne pouvait cacher sans l'assouvir.

Parmi les autres figures masculines il y a le père comme je l'ai dit plus haut, puis l'ami/amant (Christian Bonamy) auquel un poème sera dédié et que je vous lirai plus bas avec sa dédicace.

 

Peut-être Daniel Guérin (combats dans le siècle)

La place de l'homosexualité dans la poésie de Daniel Guérin

Le garçon a 18 ans, il est donc mineur en 1922 puisque la majorité était encore à 21 ans, il est normal qu'il se conforme pour l’essentiel, à une sorte d'attendu parental, sociétal et n'affiche pas ses affinités électives avec la même crudité que nous le ferions en 2023. J'aurais bien voulu m'y voir moi en 1922, avec Alexandre Millerand pour 12e président de la Troisième République française, j'aurais sans conteste affiché le visage en négatif du seul modèle possible pour prétendre aux lauriers de ma communauté familiale tout en m’accommodant des ronciers de mon désir. Seulement voilà, l’évocation rythmo-catéchistique des femmes lorsque l'on est gay est aussi efficace pour une thérapie de conversion publique qu'une inhalation de sauge.

Ce qui est fascinant dans cet instantané des inaccessibles, c'est ce qui le devient par sa poésie avec l'effacement méthodique du masculin au bénéfice d'une persistance féminine alors même que son œil lui présentait instantanément le contraire puisque je rappelle qu'en 1925, au sortir du service militaire à 21 ans, c'est-à-dire trois ans à peine après la parution de son recueil, il décide de vivre au grand jour ce qu'il qualifie lui-même d'homosexualité dito - 5:22.

Donc là on observe quasiment simultanément les mécanismes de l'affichage à destination des nécessités bourgeoises qu'exigeait son milieu social, familial et la part de lui-même qui se soulevait contre ce mimétisme de circonstance. Ce qu'il a fini par vivre physiquement à 21 ans, il le vivait déjà (et je vous parle d’expérience) mentalement à 15. Plus tard, ses déceptions amoureuses iront régulièrement à rebours de l'esprit de lutte dans lequel il était, nourrissant le doute perclus d'incertitudes et ses paradoxes. Dans le documentaire, il aborde cette bascule en faveur d'une femme (mais pas de toutes) et là encore l'illusion ne dure qu'un temps, ce qui le fera retourner vers les garçons 00:21:50 : "A pâques 1934, je m'étends contre elle [Marie Fortwangler] sur une pelouse très verte, comment s'y méprendre, je la désire. Par la grâce d'une femme, sinon de toutes, j'ai cessé de n'être attiré que par les garçons.".

Le psychanalyste José Luis Goyena (1939-2012) qui l'a très bien connu rappelle combien "il était très curieux de voir un libertaire comme Daniel qui voulait faire la révolution mais qui, dans sa vie privée, était un homme extrêmement conservateur." 1:02:09. C'est par conservatisme, réflexes, esprit de préservation que faisait peser sur lui son entourage qu'il s'est marié et par recherche d'idéaux qu'il a tenté de retrouver une unité masculine que personne n'atteint que par la déception.

Dans son livre de la dix-huitième année, l'homosexualité est d'autant plus assourdissante qu'elle n'est mentionnée qu'une seule fois, et pour les trois autres poèmes, elle apparaît par touches discrètes, au détour d'un ver qui aujourd'hui constitue le refuge de notre culture LGBT, soit-elle réduite à des sous-entendus remarquables à défaut d'être instantanément remarquées.

 

Page 11 par exemple, dans ce poème intitulé Première étape, avec pour note de bas de page Écrit à 15 ans, il termine par cette strophe sibylline en s'adressant à la Nature (avec une majuscule) :

Je retrouve chez toi le reflet de mon âme ;
    Tu bondis de plaisir lorsque je suis heureux ;
    Et je viens te parler quand j'erre loin des femmes,
    Car mon cœur est gonflé de secrets amoureux...

Alors, que sont ces (secrets amoureux d'après vous...) qui gonflent son cœur et probablement d'autres ravissants petits versants qu'il portait continuellement sur lui ? Et puis, observez ces points de suspension vertigineux qui en disent tellement long que l'auteur préfère leurs laisser terminer sa propre pensée.

En tout et pour tout, nous disposons de trois petits chef-d’œuvres non genrés qui laissent à l'un des hommes qu'il aura le plus profondément aimé, et peut-être à quelques autres, l'espoir d'avoir étaient celui-ci.

 

LE SIMPLE AMOUR (page 16)
de Daniel Guérin

Dans tes yeux veloutés j'ai lu ce rêve immense.
Nous marchions tous les deux d'un pas doux, d'un pas lent,
    Nos frémissantes mains s'étreignaient en silence ;
    Et nous ne disons rien, et ton corps est brûlant.

Je le sens contre moi, ce grand corps, je l'enlace ;
    Nous marchons en cadence et semblons confondus.
    Parfois ton bras m'entoure, et me caresse, et passe...
    Et ma lèvre voudrait posséder ce bras nu.

Tes cheveux parfumés, je les sens, je les frôle ;
    Et mon fiévreux visage a soif de leur saveur.
    Je me penche vers toi ; je touche ton épaule.
    Je frissonne d'amour et j'étouffe en mon cœur.

La lune avec bonté nous guide, nous éclaire ;
    Mais le ciel vaporise et s'endort lentement ;
    Il a tant vu de bras se tendre sur la terre
    Qu'il n'encourage plus nos caresses d'amants.

La brise est un soupir qui baigne nos figure ;
    Nous écrasons des fleurs en marchant dans la nuit ;
    Et je charge ton cou de tendres meurtrissures,
    Et j'entends nos baisers qui se posent sans bruit.

Nous nous laissons tomber sur un tapis de mousse.
    Un plaisir infini nous gonfle, nous étreint ;
    Et je sens la chaleur de ta peau lisse et douce ;
    Et je sens s'allonger sur mon front tes deux mains.

Notre bonheur est grave et grave est le silence ;
    Et nos corps enlacés sont confondus toujours...
    Nous avons dépassé le plus suprême amour.
Dans tes yeux veloutés j'ai lu ce rêve immense.

 

SA VOIX (page 18)
(Alexandrins féminin/masculin alternés , puis à la troisième strophe, féminin/féminin, masculin etc)

Lorsque j'entends sa voix qui tremble et qui frissonne,
    Sa voix qui rit, sa voix qui monte et qui se meurt,
    Sa voix que j'attendais, qui cependant m'étonne,
    Et qui frappe à grands coups les fibres de mon cœur ;

Lorsque j'entends sa voix dans la nuit monotone,
    Un plaisir surhumain caresse ma douleur ;
    Au fond de moi son rire indolent s'abandonne,
    Comme un tendre baiser sur un visage en pleurs.

Alors autour de nous je sens planer les choses,
    Une extase irréelle où le Désir repose,
    Un lac mystérieux qui rend triste le soir...

J'écoute la ferveur de sa voix qui s'élance ;
    La musique me grise ; et je fixe en silence
    Son œil désespérant, son œil sauvage et noir !

 

Écrit parmi les fleurs
p. 36

Depuis que j'ai souffert d'un amour disparu,
Depuis que mon ivresse un soir s'est envolée
Comme un oiseau s'enfuit des plaines désolées,
Dans ces lieux que j'aimais, je ne suis revenu.

Respirant le parfum des lettres effacées,
Sauvage et douloureux loin d'ici j'ai vécu.
Aujourd'hui je reviens : mon amour est perdu.
J'en cherche le vestige à travers les allées.

Je revois le jardin où s'épanouissait les roses,
Où mes yeux dans les siens criaient de graves choses ;
Je revois la pelouse où se mouvait son corps...

Hélas ! la volupté de ces jours est lointaine ;
Je rêve avec les fleurs qui comprirent ma peine ;
Les souvenirs sont doux lorsque l'amour est mort.

 

Le livre de la dix-huitième année (poèmes), Paris, Albin Michel, 1922 de Daniel Guérin (dédicace)

LA DÉDICACE

En troisième page de garde de l'exemplaire que je possède _en tout cas le temps que durera ma vie_ se trouve un tellement bel autographe tracé à l'encre noire, que cette pièce d'archives n'aurait jamais été vendue à ce prix là si le libraire avait su faire le lien que je viens de découvrir.

En sa qualité de spécialiste du livre ancien, il était le mieux placé pour savoir qui était ce Christian Bonamy auquel est destiné, et l'ouvrage et l'affectueuse adresse. Seulement, lorsque je lui ai demandé s'il en savait davantage, il me répondit nonchalamment que non. Je suppose qu'il a du rapidement consulter le web ce que je fis avec le même résultat. Concernant l'origine du nom de famille elle viendrait d'Italie avec des Buonamici ou Bonamici, francisée en Bonamy que nous retrouvons en France notamment en Seine-Maritime et dans le Vaucluse. Au Moyen Âge il signifiait bien sûr "bon ami", et fut utilisé comme le désignatif d'une personne augurale au sens de ("sois un bon ami"). Alors bons amis, sans conteste le furent-ils, puisque leurs relations allèrent bien au-delà des affections prévisibles que l'amitié empreinte jusqu'à se commuer ici en une troublante et persistante complicité adolescente.

Donc, non seulement la dédicace provient de l'homosexuelle main de Daniel Guérin désormais décédé, d'un stylo tenu par lui, mais elle s'adresse à un homme, peut-être le seul qu'il ait jamais aimé, se tenant là, très probablement devant lui, puisque l'on envoie rarement ce genre d'ouvrage par la Poste. En plus de cela, p.128, se dresse le seul poème homosexuel de l'ouvrage nominativement adressé. Le seul autre amour dont le prénom émerge est celui qu'il portait à son frère, Guillaume (p. 48 & 65), après quoi vient la mention de son père (p. 56) mais pas sa de mère.

Toutefois, ce que ne sauront jamais les possesseurs inattentifs de ce volume exclusivement, _aujourd'hui entre les mains d'un autre poète homosexuel_, c'est qu'à la dédicace manuscrite en page de garde, répond un poème résolument gay qui s'ouvre avec la majesté d'un tiroir secret sur une lettre cousue d'alexandrins et qui, en 1922, alors âgé de dix-huit ans, ne laisse plus aucun doute sur la nature élective de leurs échanges.

"A mon ami Christian Bonamy, ces modestes vers qui lui rappelleront un jour les années d'adolescences vécues côte-à-côte, - et certains charmes ensorcelants, et les début de notre réciproque affection, Daniel Guérin." Étant donné qu'elle est non datée, on ne sait pas à quelle période de sa vie Daniel l'a signé et Christian l'a reçu. De la même manière on ne connaîtra jamais la nature des liens qui les ont réunis mais enfin ces garçons ce sont connus enfants, adolescents ne l'est-on pas encore ? Ils partagèrent visiblement des moments ensemble teints d'une "réciproque affection", doublée de "certains charmes - ensorcelants" ? Vous n'allez tout de même pas me reprocher d'alluder lorsque l'auteur de ces mots, et avec lui l'homosexualité, fait de l'allusion le secrétariat de nos actions clandestines ?

 

RÉMINISCENCE
A Christian Bonamy P.128

Non, lorsque après le bruit des hommes et des choses,
Nous resterons assis, pacifiques amants,
Face à face, dessous le pompeux firmament,
Et qu'autour de nos corps s'endormiront les roses ;

 

Non, je ne dirais pas les frivoles serments
Qui s'élèvent craintifs sur des lèvres décloses,
Et ne pouvant survivre à leur apothéose
Dans le parfum des nuits se perdront lentement...

 

Je me tairai ; j'aurais trop peur que s'interpose
Entre mon rêve et vous, semblable châtiment,
Ce regard étonné, candide et suppliant
Dont la blessure en moi ne sera jamais close...

 

 

Rédigé par le poète homosexuel Alain Cabello-Mosnier ⚣
le jeudi 24 juin 2021, Paris

 

Pour rédiger ce texte je me suis servi de divers sources web telles que :
(1) Wikipédia
(2) endo-sexe signifie dans le sexe, c'est un synonyme d'homosexuel.le
(3) circulaire qui tourne dans l'homosexualité, synonyme de bisexuel.le
(4) Podcast Libertés ouvrières

https://www.danielguerin.info, page sexualité.

 

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