Limaria fragilis
Garcons nus dans l'Ocean, Sicile, Photo de 1950 par Konrad Helbig, (19171986). C'est à partir de cette photo que ce poème fut créé.
▌Regardes
mais regardes
ces pectens d'ombres à la lueur de ces eaux impardonnables qui toutes lèchent leur baigneur
Océan,
aimes-tu chacun des coquillages que tu lèches
que tu recouvres de tes draps tout percés de spumescentes dentelles ?
Les aimes-tu autant que ceux-là
aussi nombreux que j'ai pu les aimer
Et bien vois-tu,
Écoutes-moi
ne te retires pas comme un ressac de femme blasée
je suis Océan d'homosexualité
Je me glisse d'orteils en orteils comme tu le fais de galets en traits côtiers,
ces flancs de mondes.
Mes marées les recouvres
et tout chauds de nous
tout chauds de nous
le tumulte s'installe
J'engloutis les navires marchands des prostitués masculins
des galions tous frais sortis
du chantier naval de leurs mères
sentant le bois,
le chanvre et la révolte
ils se tordent, résistent, se cabrent
me tombent à genoux
la bouche et glands au corindons en larmes
"Je ne méritais pas ça !"
mais point de proues qui comme une boussoles les ramèneraient sains et saufs aux rivages inatteignables de leur liberté,
ni vergues ni voiles ne les sauves,
le Nord que je leur montre n'est qu'un Nord qui les perd
je les regarde tout doucement sombrer
se résoudre à mes esprits formidables
perdre pieds dans des rouleaux d'oreillers
ici point d'eau d'houses
mais des plis nerveux de couettes indomptables
de leurs roulis de plumes elles cachent la terre ferme à qui les regrettent déjà
"C'est trop tard" susurre le vent que je leur adresse
La Mésopotamie de ton enfance est désormais trop loin
inaccessible l'Our de ta nautile petite chambre à coucher pleine de jouets
maintenant, c'est toi qui est le mien
Aimes-tu comme moi ce cosmos des eaux où ils ne sont plus
ni sur la surface d'en haut, ni sur le fond d'en bas
au milieu, ou peut-être pas encore
lâchant de leur bouche des mollusques d'air emplis de baisers à l'intention de ceux qu'ils ne verront plus
couteau de nacre démersal à l’appendis infecte Limaria fragilis, tête filamenteuse d'un homme dans son bain
Rien n'est plus beaux que cette stellule à la nage spasmée
puis j'observe ses rebonds sur mes fonds de sables
les bouts d'épaves de leur ancienne splendeur aux sigils chargés,
échardes d'aisselles tristes et ligneuses,
des byssus de bas-ventres et profondes failles marines
percés d'abandons au trou de dentale
bouclées à l'antique privilège de se savoir gardés par moi.
perdus pour les autres autant que pour lui-même
Après ça, la marée des douches
peut bien remonter
et prétendre remplacer nos inacceptables écumes par ses douceurs saponiformes
ça ne changera rien à l'archétype final des coïts
à leurs effluves abismals de pourrissoir
J'aime comme je détruis
je détruis comme j'aime détruire
par amour
par haine de la désillusion
Mes amants
c'est le "Trésor de Rackham le rouge"
Leurs cercueils
autant de coffres emplis d'eux
des chevalières de fantasmes
bracelets d'empêchement
colliers d'entraves
rivières de diamants aux pierres de salives
tout brillait lorsque nous étions ensemble
même l'or de l'amour qui n'en était pas
sentait l'odeur du corps bien réel qu'ils étaient.
quoi qu'ils fassent pour être propres,
sous le sable est la terre brunoyée par ses ombres
Le reste n'est que colonnes doriques remplacées par la vertébrale
les segments éparpillés dans un lit
membrures et étoupes
Océan ?
Je ne sais pas comment tu a mangé nos ancêtres,
mais je sais comment j'ai baisé leurs fils.
comment j'ai défait leurs résistances l'une après l'autre
comme celle que gardait l'épissure de leurs doigts
cela formait un V, nombril au centre
ausculté comme un bagnard envoyé aux galères
moi en face
toute peur au fond
toi autour
et nous,
dedans nous
Écrit par A. CA.-M. le rose (Alain Cabello-Mosnier)