Se coudre les lèvres
Ne pas publier c'est comme se coudre les lèvres, un signe de protestations silencieuses adressée à l'armée noire des maisons d'éditions et des libraires esclavagistes. Avez-vous d'ailleurs remarqué comme l'on écrit "maisons d'éditions" comme l'on écrirait "maisons closes" ? Et combien les livres restent là, rangés sur leur étagère comme des esclaves côte-à-côte sur un marché aux esclaves ? Avant ils étaient de cuir marron, maintenant de papier blanc mais au fond, qu'est-ce qui change ? Ils restent l'objet du même commerce, inlassablement vendus et revendus. Eux étaient venus dans l'espoir d'une vie meilleure et voilà leur nom associé au logo d'un éditeur qui l'aura baisé quand il était pauvre et qu'il érigera en faire-valoir si la notoriété l'atteint. Et à son tour, l'esclave devenu riche aura beau-jeu de revendiquer le travail, le talent, allant jusqu'à remercier le maître qui l'aura assujetti, prostitué dans ses salons littéraires, sorti de l'ornière de l’anonymat dans laquelle il était alors qu'il se nourrissait de ses petites fesses. Dans ces périodes d'hyper productions artistiques, les éditeurs garderont l'âme fière de ceux qui redécouvrent tel écrivain opportunément tombé dans le domaine public, nous, l'inépuisable vivié des morts exploitable jusqu'au sang, os blancs et tombeau noir. Chaque livre est comme un cri étouffé dans son manuscrit, lui seul porte en germe les traces des censures qu'on lui a infligé, le livre lui n'est que ce que l'on a bien voulu consentir montrer de l'auteur, la couverture est belle mais le dos est scarifié. Si j'ai pris le parti d'enregistrer ma poésie c'est juste parce que c'est comme se laisser surprendre à la dire, la réciter le temps d'une écoute sans aucun échange monétaire. Le texte devient une minuscule petite mangeoire sur laquelle se posent les oiseaux qui viennent s'y nourrir de quelques adresses, de vers fameux, puis ils s'envolent en en connaissant plus de toi, que toi d'eux. Le poète se croit souvent seul alors qu'il est tout plein des autres, les gens viennent le voir pour se nourrir de la qualité de sa nostalgie, d'un romantisme bien né. C'est vrai, chaque poème est un roman pas plus haut qu'un lutin et qu'on lit plus sûrement que tous ceux qui s'entassent dans les bibliothèques. Alain Cabello-Mosnier
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