Marguerite Duras nous quittait ce 3 Mars 1996

Aujourd'hui, en ce 3 Mars 1996 Marguerite Duras nous quittait, ça n'a aucun lien avec l'homosexualité mais ça m'inspire une réflexion. Elle disait « La solitude, ça veut dire aussi : Ou la mort, ou le livre. »

Le livre ne change rien à la mort pour moi, il ne fait que prolonger la hantise de l'avoir non pas écrit mais publié, tant c'est à le vivre que nous aurions voulu rester à jamais. Les bibliothécaires errent dans leurs allées de livres, les écrivains, dans un seul parmi les-leurs, reste à savoir lequel, pourquoi et pour qui.

Le livre c'est comme une table perpétuellement dressée pour le lecteur qui s'invite, soit on le publie pour les convives que l'on souhaite nombreux, soit on passe notre temps à le réécrire, à en bouger les verres à défaut d'amis pour n'en recevoir aucun.

L'autrice, merveilleuse décida de sa notoriété, mais qu'en est-il de ceux et celle que cette lumière indispose ?

"Détruire dit-elle"

"Détruire dit-elle" ; l’œuvre doit-elle suivre son écrivain comme une Sati et surtout, qui doit en allumer le foyer ? Dans cette tradition indienne l'épouse est invitée (conditionnée) à suivre son mari sur le bûcher, mais est-ce que le livre doit en faire autant et qui doit en décider ?

Kafka était-il fondé à demander la mort de son œuvre et son ami et poète Max Brod de là-lui refuser ? Et nous, que lisons-nous ? Une œuvre écrite ou une œuvre volée ? Est-on invité à cette table ou nous s'y asseyons-nous alors-même que l'auteur ne souhaitait pas nous y voir attablé ?

Ça me fait penser aux mandalas que les moines tibétains passent des heures ou des jours à constituer de sable et qui, après les avoir offerts comme le message spirituel qu'ils sont, les ballaient ou les immergent dans l'eau.

L'ont-ils détruit ou l'ont-ils offert ?

Nous révérons le livre et à travers lui la personne qui la écrit d'autant plus qu'elle a rejoint ce que ce nous redoutons le plus (l'absence n'est pas remplacée par le nombre d'exemplaires), le livre est un antidote de papier parcouru de veines d'encre et par le désarroi de ceux qui le lisent.

Il est tout ce qu'il nous reste de celui qui l'a écrit, et ses froissement, ses cornes et soulignements, tout de celles et ceux qui l'auront lu.

Perso j'ai peur de laisser mes poèmes, dans un livre que je ne reverrais plus jamais, peur qu'ils se sentent abandonner de moi comme des adolescents nus dans le dortoir de la bibliothèque d'un autre.

Que ferais-je si l'un d'entre-eux, ne serait-ce qu'un seul m'appelait dans la nuit au cours des siècles à venir et que je ne réponde pas ? Se diraient-ils orphelins de douleur ; que père les a oublié, alors que je les ai écrit ?

Dois-je les emmener avec moi ? Dans cette nuit où je suis ni attendu, ni souhaité ? Ou dois-je les confier aux Thénardier de ce que je sais des Hommes ? En même temps me dis-je, je les ai tant aimés nus, suants et baiseurs que je les aimerai tout autant, lisant la prose ou les vers de qui que ce soit d'autre. Oui mais ça c'est pour le contenant, qu'en est-il du livre-enfant, de ce petit ange tout nu fait de feuilles blanches et tatouées, de l'éditeur qui en fait commerce sans avoir à s’acquitter de droits d'auteur lorsque le domaine public les en a exonéré, de ceux qui les revendent sur le marché aux esclaves  du livre d'occasion ? Comment ma révolte ne serait-elle pas là-leurs à voir par terre un livre de Platon maltraité ?

Alors le livre ? Enfant ou adulte, tombeau ou phallus car ne brandi-t-on pas notre œuvre comme Priape ithyphallique brandirait ses longueurs ?